Construction
d’un télescope de 510 mm
Naissance d’une passion
C’est à l’âge de dix ans et grâce à l’encyclopédie Tout l’Univers que je devins un passionné d’astronomie. Dans cette encyclopédie on y découvrait le Système Solaire, des éphémérides mais également la construction, très simplifiée, d’un télescope. A l’âge de 11 ans, je fis l’acquisition de ma première lunette, une 60/900, avec laquelle je fis mes premières observations.
Plus tard, c’est une soirée d’observation à Aniane, lors de laquelle je fus subjugué par la beauté de la planète Mars que je voyais pour la première fois à travers un T 210, qui me donna l’envie de fabriquer mon propre instrument, l’achat d’un grand télescope dans le commerce m’étant bien sûr inaccessible.
C’est ainsi que je me lançais, à 14 ans, dans la réalisation complète d’un télescope Newton de 260 mm., et, quelques mois plus tard, je réalisai à nouveau un miroir de 260 mm pour un ami.
L’envie de tailler du verre et de construire un télescope encore plus grand malgré la grande satisfaction que m’apportait mon T260 recommença cinq ans plus tard... La réalisation d’un T 500 par un amateur était une véritable gageure il y a seulement une quinzaine d’années. J’en avais bien conscience mais étais ébahi par les photos de la Lune et des planètes réalisées à l'époque par Georges Viscardy sur T520, et c’est après un séjour chez Dany Cardoen que je compris qu’une telle construction était bel et bien possible.
Réalisation du T 510
Partie optique
C’est en juillet 1991 que débuta l’ébauchage du grand miroir de 510 mm (épaisseur 45 mm) au carbo 36. Sept kilos de cet émeri seront nécessaires pour l’amener à la flêche voulue. Le poids du miroir (20 kg) ajouté à la force que l’on est amené à fournir lors des séchées, rendent l’opération pénible; aussi, j’estime qu’au-delà de 600 mm de diamètre, l’ébauchage manuel est impossible
Le doucissage et le polissage furent réalisés dans une grange que j’aspergeais d’eau (sol, murs et plafonds) après chaque émeri afin d’enlever toute trace de l’émeri précédent ou de poussière, et d’éviter au maximum le risque de rayures. Au mois d’octobre 1991, j’obtins une surface optique exempte de toute rayure ou filandre (quelques fois, le fait d’être maniaque a du bon!).
La parabolisation fut l’étape la plus problématique car on ne parabolise pas un 500 mm comme un "petit" 250! En effet, les techniques sont différentes en plus de l’outil pleine ouverture, on utilise des outils de la moitié ou du tiers du diamètre du miroir. Après plus de 300 heures de parabolisation et un nombre incalculable de retouches, j’obtins une bonne précision de lambda\12.
L’aluminure non protégée a été réalisée à l’observatoire de Haute-Provence. Elle nécessite quelques précautions lors du nettoyage de l’optique, mais cette solution permet de réaluminer autant de fois que l’on désire sans détériorer la surface du miroir, ce qui n’est pas toujours le cas avec les aluminures protégées.
Partie mécanique
La partie mécanique a été réalisée avec l’aide d’Alain Babassud, ferronnier.
Le barillet.
Il s'agit d'un barillet à leviers astatiques 15 points , 3 fixes,12 mobiles.
L’araignée. Le corps est constitué d’une plaque d’aluminium de 30 mm d’épaisseur. Trois vis de 10 mm à 120° permettent le réglage du secondaire et une quatrième vis centrale dotée d’un ressort permet le maintient du miroir secondaire.
Les bras de l’araignée sont constitués de dural d’une épaisseur de 2 mm et d’une largeur de 30 mm. Les embouts sont encastrés dans une plaque d’aluminium de 15 mm d’épaisseur dans laquelle s’insère une vis de 10 mm de diamètre maintenant l’araignée au tube.
Le tube. De forme octogonale, il mesure 2.65 m pour un diamètre extérieur de 620 mm. La partie inférieure, qui reçoit le barillet, jusqu’à l’axe de déclinaison, comprend deux plaques d’acier de 16 mm qui supportent l’axe de déclinaison, et son armature est constituée de tubes de 50x30 mm. La partie supérieure du tube, à partir de l’axe de déclinaison, présente quatre tubes de 30x30 mm. Les deux tôles qui recouvrent le tube ont une épaisseur de 10/10eme, une plieuse a été utilisée pour leur faire prendre la forme octogonale. Elles sont rivetées sur les tubes latéraux.
La partie inférieure du tube est démontable, ce qui donne accès au barillet. C’est sur cette partie que se trouvent quatre volets d’aération permettant une prise d’air juste en-dessous du miroir. Après ventilation et mise en température, il suffit de fermer ces volets pour observer. Le tube comprend également une trappe d’accès au miroir, afin de pouvoir le nettoyer sans démonter le barillet.
Le tube, couleur bleu nuit, et la fourche, couleur gris perle, ont reçu chacun trois couches de peinture voiture au pistolet. La peinture m’a d’ailleurs coûté plus cher que le tube lui-même!
Le porte-oculaire. Il s’agit d’un porte-oculaire à cabestan, coulant 31,75 et 50 mm, à déplacement micrométrique sans rotation de l’oculaire (Arcane). Il est placé sur une double platine en contreplaqué de 18 mm. Chaque vis est montée sur ressort, ce qui permet une collimation très précise de l’optique en plein jour. J’utilise le système de tube en PVC (longueur 20 cm) réticulé, avec un point d’un millimètre au centre du secondaire et une pastille de 20 mm sur le primaire.
La fourche:
Elle est constituée d'un tube rectangulaire de 200x100 mm et 8 mm d'épaisseur rempli de mousse polyuréthane expansée, ce qui a pour effet d’annuler d’éventuelles vibrations. La base de la fourche a été soudée et vissée (vis de 24 mm de diamètre) sur un flasque en acier (couvercle de cuve) de 530 mm de diamètre et 20 mm d’épaisseur. Sur celui-ci, 10 trous de 25 mm de diamètre ont été réalisés à la perceuse à colonne afin d'assembler la fourche aux goujons d’un essieu de semi-remorque. De plus, des renforts triangulaires en acier de 8 mm sont soudés sur la fourche et le flasque. Le tout assure une grande rigidité à l’ensemble .
L’axe de déclinaison. Il est constitué des classiques boîtes à roulement d’essieu arrière de 2 CV, habituellement utilisées comme axe d’ascension droite sur de plus petits télescopes. Elles sont fixées à la fourche par 8 vis de 12 mm de diamètre qui viennent se loger dans deux plaques d’acier de 10 mm d’épaisseur soudées à la fourche.
La fixation au tube se fait par l’intermédiaire d’une plaque octogonale de 8 mm d’épaisseur soudée parfaitement d’équerre par rapport à l’essieu, et vissée par quatre boulons de 10 mm de diamètre sur les renforts latéraux du tube.
L’axe horaire. C’est la partie mécanique qui m’a demandé le plus d’attention et d’efforts. La pièce principale est une fusée d’essieu de camion de 38 tonnes. Pour la dégager, j’ai dû avoir recours au chalumeau de ferrailleur car "bonjour la trempe", la découpe à la disqueuse est mission presque impossible. Les roulements sont réglables,coniques et ont un diamètre de 170 mm. La partie supérieure mobile, qui présente 10 goujons de 24 mm de diamètre, se visse sur la flasque supportant la fourche. La partie inférieure, quant à elle, a été encastrée et soudée de part et d’autre d’une tôle d’acier d’une épaisseur de 25 mm pesant 100 kilos. Un logement de la dimension de la base de la fusée a été découpé au chalumeau dans la plaque. La fusée, une fois insérée au millimètre près dans le trou réalisé à la forme, a été soudée dans la plaque.
La table d’acier a été ensuite percée puis vissée sur le trépied par des vis de 18 mm de diamètre.
Le trépied. Il a été réalisé en tubes de section carrée de 50x50 mm et son embase une dimension au sol de 2x1,30 m.
J’ai également trouvé chez un ferrailleur trois systèmes de levage de ponts, constitués par un volant de 220 mm de diamètre et une vis de 40 mm de diamètre, dont l’extrémité est arrondie. Ceux-ci sont soudés à chaque sommet de l’embase. La mise en station par la méthode de Bigourdan se fait ainsi sans effort et très précisément. Quant au déplacement latéral, il s’effectue par l’intermédiaire de deux vis de 18 mm de diamètre.
L’ensemble du trépied a été recouvert de contreplaqué marine de 8 mm d’épaisseur, poncé, enduit de produit de lissage, à nouveau poncé, peint puis riveté. Des baguettes en dural recouvrent les arrêtes en étant vissées sur le contreplaqué.
L’entraînement. Il se fait à l’aide du classique écrou tracteur et tige filetée. C’est la seule partie du télescope qui a nécessité un tourneur . La tige filetée a une longueur de 330 mm, ce qui permet une autonomie de trois heures, et un diamètre de 20 mm. La remise à zéro de l’écrou se fait à l’aide d’une manivelle. Le moteur pas à pas a un couple de 4 newtons/m et effectue un tour en une minute.
Le boîtier de commande (un G4 de chez Arcane) est doté de quatre boutons poussoirs agissant sur les deux sens de marche de chaque moteur, auxquels s’associe un potentiomètre qui permet de faire varier la vitesse de ces derniers (une fois, deux fois, ou vingt fois), un autre pour les suivis stellaires ou lunaires, et un troisième qui sert à régler l’intensité lumineuse de l’oculaire-guide réticulé. Enfin, le boîtier possède une prise pour l’adaptation d’un système de suivi stellaire ST4.
A noter que chaque point de contact entre le bloc moteur et l’ensemble du télescope est monté sur silentbloc afin d’éviter les vibrations engendrées par le moteur.
Équipement et abri
Pour le guidage stellaire et l’observation solaire, j’utilise une lunette Astrophysic de 155 mm de diamètre ouverte à 9 apochromatique. Un oculaire réticulé de 9 mm et une Barlow Clavé me donnent un grossissement de 310 fois pour le guidage, ce qui n’est pas de trop pour les 2700 mm de focale du foyer primaire du télescope.
La lunette est fixée sur un chariot pouvant se déplacer sur 50 cm le long du tube du télescope, permettant l’équilibrage du télescope mais aussi un meilleur positionnement pour l’observateur suivant la hauteur de l’objet observé. Quatre roulettes de serrage maintiennent fermement le chariot et la lunette sur les rails porteurs des roulettes. Lors du suivi stellaire, le chariot étant fixé fortement au tube par deux tiges filetées de 10 mm de diamètre qui traversent ce dernier et sont boulonnées au chariot, toute flexion durant la pose est ainsi évitée.
L’installation du télescope sur le site étant temporaire, j’ai réalisé un simple abri dont la structure est faite en tubes de 30x30 mm et recouverte d’une bâche plastique elle-même recouverte d’une bâche de wagon SNCF, toutes deux rivetées sur le métal.
Quatre roulettes permettent le déplacement de l’ensemble, fixé sur le béton par quatre tubes de 50x50 mm qui permettent à l’abri de résister au fort mistral qui souffle dans notre région. La moquette permet confort et propreté.
Que voit-on dans
un T510?
Une fois résolu le problème de l’accès à l’oculaire (le porte-oculaires se trouve à plus de trois mètres du sol), le spectacle est grandiose. Bien que j’observe dans un ciel de plaine à 5 kilomètres d’Uzès, j’obtiens une magnitude supérieure ou égale à 6 à l’œil nu la plupart du temps, et surtout lorsque le mistral a soufflé toute la journée: M 13 et M 33 ont lors visibles à l’oeil nu. Je dispose de plus de 200 nuits claires par an. Je reprends plaisir à observer les objets vus maintes et maintes fois auparavant à travers un 250 mm et les cieux révèlent de nouvelles merveilles.
J’utilise comme oculaire le célèbre Nagler type Il de 20 mm qui me donne un grossissement de 136 fois. Pour les grossissements plus importants, pour l’observation des nébuleuses planétaires ou des détails de galaxies, j’utilise un UWA de chez Meade de 8,8 mm qui me donne un grossissement de 310 fois.
M 51 est extraordinaire: on y voit l’ensemble des bras spiraux très distinctement ainsi que le pont d’étoiles qui la relie à sa voisine. Et tout ceci en vision directe bien entendu. C’est pareil pour M 101. La grande nébuleuse d’Orion M 42 se teinte de rose et de vert. L’étoile centrale de la nébuleuse de la Lyre est bien visible(lorsque la turbulence se calme). Les bras spiraux de NGC 6946, NGC 3992 ou M 100 sont parfaitement distincts. Le champ de NGC 7331 avec les autres galaxies en arrière plan est fabuleux. Les objets lumineux tels que Dumbell,, Trifid, Oméga semblent de véritables photos. On pénètre littéralement à l'intérieur des amas globulaires. Des dizaines de milliers de galaxies sont ainsi observables;
L’observation à travers un tel diamètre est véritablement fantastique (à condition d’avoir un bon ciel) et les possibilités tant visuelles que photographiques (sans parler de la CCD) sont infinies. Par ciel pur, il est très difficile de détacher l’œil de l’oculaire et après une nuit blanche astronomique devant son petit-déjeuner on a la tête encore remplie d’étoiles et de galaxies.
J’espère que ces quelques lignes vous auront mis l’eau à la bouche et donné l’envie de polir, calculer, dessiner, imaginer, découper, percer, visser, coller et.. .créer. Si vous avez déjà réalisé entièrement un télescope de 250 ou 300 mm, si vous disposez d’un bon site et de suffisamment de place, alors je ne peux que vous encourager à vous lancer dans cette entreprise, certes longue et fastidieuse mais oh!! combien enrichissante!
Je dois signaler que le télescope a été entièrement réalisé à l’aide d’outils de bricolage classiques : perceuse et perceuse à colonne, disqueuse, meuleuse, ponceuse, scie sauteuse, poste à souder... Seule la tige filetée d’entraînement du télescope demande l’intervention d’un tourneur.
Environ 1500 heures ont été nécessaires à la réalisation complète, réparties entre juillet 91 et octobre 93, dont 700 ont été consacrées au polissage du miroir. Le coût global du télescope sans la lunette s’élève à environ 35000 F.
Article paru dans PULSAR N°723
Jean -pierre Brahic